Discours du Trône

24 juin 1997


Rarement a-t-on donné à un homme le destin de nommer l'innommé, de reconnaître l'inconnu, d'annoncer ce qui doit être. L'Homme le plus aimé de Dieu, celui-là même qui fut annoncé par l'Ange Gabriel six mois avant l'annonce faite à Marie, cet homme nommé Jean le Baptiste nomma, reconnut et annonça le CHRIST. Par sa mission, Jean le précurseur a clos l'ère de l'Ancien Testament et inaugura l'ère du Nouveau Testament. Cet homme qui n'avait pas peur de reprocher aux puissants de son temps leur inconduite, faisait peur même s'il était motivé par des intentions bienveillantes. «Tout homme qui n'a pas peur, fait peur», dira le proverbe.

Certes, Jean le Baptiste, le précurseur, paya de sa vie son audace, mais son uvre fut grandiose et l'ère annoncée dure encore deux millénaires plus tard. Saint-Jean-du-Millénaire, ce Jean le Baptiste retrouvé que nous voulons réaliser à même les arbres de la montagne, a pour destin de clore ce deuxième millénaire et d'annoncer le nouveau. Le troisième millénaire sera celui de la réconciliation de l'Homme avec lui-même et avec son Dieu ou ne sera pas car les temps nouveaux sont arrivés.


Le temps est venu de traverser la rivière, le temps est venu d'enjamber le pont, le temps est venu de passer sur l'autre rive.

Notre royaume de L'Anse-Saint-Jean a un pont comme symbole. Connu parce qu'il apparaissait sur les billets de 1000 $, ce «pont du mille» a une valeur symbolique particulière. Ce pont représente le lien entre la rive profane et la rive sacrée, le lien entre notre pensée historique et notre futur, le passage entre notre ancien état de municipalité et notre nouvel état de Royaume. Le passé existerait-il s'il n'y avait pas d'homme? dira l'un. Oui, mais il n'y aurait personne pour s'en souvenir, dira l'autre. Dieu existerait-il si les hommes n'existaient pas?, dira encore l'un. Oui, mais il n'y aurait personne pour le reconnaître, dira encore l'autre. L'Homme est la seule créature terrestre capable de nommer, de reconnaître, de choisir son destin justement à partir des paramètres de son passé et de son Dieu.


La devise royale «Je me souviens de mon avenir» témoigne de cette volonté de réunir ce qui a été divisé, de recoudre ce qui a été déchiré, de reconstruire ce qui a été endommagé. Car celui qui contrôle son présent ne contrôle que son passé, tandis que celui qui contrôle son passé, contrôle son avenir. Mais la nouvelle union, le nouveau vêtement ou la nouvelle construction qui en résultera ne sera pas le même qu'auparavant. Car le temps est venu de traverser la rivière, le temps est venu d'enjamber le pont, le temps est venu de traverser sur l'autre rive. Et sur l'autre rive, la perspective du paysage n'est plus la même. Ce n'est pas tellement le paysage qui change, mais le regard que nous portons sur lui.

Le peuple anjeannois n'est pas riche, encore moins snob, mais il est fier! Il est fier de son passé, de ses ancêtres, de ses combats héroïques, de son audace. Comme tous les autres, les Anjeannois ont douté, mais ils ont réussi à conjurer ce doute pour innover. À chaque fois qu'ils ont osé, ils ont collectivement renoncé à avoir peur, peur d'avoir peur, peur de faire rire d'eux, peur de l'échec, peur d'eux-mêmes, peur de leurs vieux démons, peur de la mort planifiée par les autres sous les noms technocratiques de dévitalisation du milieu et de décroissance économique. Avec son choix de monarchie municipale, comme avec son choix de la première coopérative forestière ou celui de la construction de son église, les Anjeannois ont refusé de mourir à petits feux entre le confort et l'indifférence des autres. Ils ont plutôt opté d'être solidaires et de se battre pour un avenir meilleur, pour la création de leurs propres institutions légitimes. Bref, ils ont décidé d'être eux-mêmes en respectant les autres. Car on ne peut être vraiment nous-mêmes contre les autres, mais avec eux. On ne peut se libérer de nos chaînes sans libérer du même coup notre geôlier. Si les systèmes économiques, touristiques, journalistiques ou politiques sont faits pour récompenser les courageux... les Anjeannois seront prospères. Si les systèmes sont faits pour récompenser les vaillants, ceux qui ont du cur au ventre... les Anjeannois travailleront de nouveau. Si les systèmes sont faits pour récompenser les meilleurs... les Anjeannois auront un Royaume de prospérité et de travail.


Dans le cas contraire, ce ne seront pas les Anjeannois qui seront à plaindre, mais les systèmes eux-mêmes qui devront alors être changés. Peut-on raisonnablement reprocher à une communauté son intelligence à vivre intensément et légitimement une souveraineté que d'autres veulent encore créer légalement? Peut-on raisonnablement reprocher à une communauté son intelligence à vivre intensément et légitimement une monarchie constitutionnelle que d'autres veulent encore conserver légalement? Peut-on raisonnablement reprocher à une communauté d'avoir rapatrié à son échelle locale l'idée même du pays pour le vivre intensément et légitimement aux bénéfices de tous alors que d'autres veulent soit le créer légalement ou soit le conserver légalement.


L'ère nouvelle annoncée par notre Saint-Jean-du-Millénaire n'est pas celle de la différence, mais celle de son expression différente. Car la différence ou la spécificité n'en est pas vraiment une si elle ne s'exprime pas différemment et spécifiquement. Avec la monarchie municipale, les Anjeannois expriment différemment leur différence.

Nous avons renoncé collectivement à résoudre les contradictions de la vie en coupant radicalement avec notre passé historique fait de francité et de catholicité. Nous avons plutôt opté d'assumer ces contradictions et de reprendre ce passé pour en faire une uvre d'avenir faite d'une nouvelle québécitude et d'une chrétienté renouvelée en prenant leçon des erreurs et des réussites du passé. Nous ne cherchons pas à être le précédent de ce qui se généralisera pas la suite... nous nous contentons d'être l'exception qui confirme la règle. Nous ne cherchons pas la légalité, mais la légitimité... la légalité étant forcément assujettie à la légitimité et non l'inverse. Nous préférons être un Roi légitime plutôt qu'un Roi légal parce que nous voulons durer grâce à la volonté manifeste des gens que nous représentons.


Nous nous sommes donné comme mission nationale de créer un oratoire végétal et artistique dédié à notre saint patron en le présentant dans une perspective d'avenir. Nous nous sommes donné comme tâche de créer une noblesse en titre, la première en terre américaine, une noblesse dont les critères sont la générosité et l'ouverture d'esprit. Notre noblesse à nous sera celle du partage et de l'audace. Nos ducs et duchesses, nos comtes et comtesses, nos barons ou baronnes, nos compagnons ou compagnes du millénaire seront les maillons d'une immense chaîne d'amitié et ils nous aideront non seulement à survivre, mais à vivre la prospérité que nous méritons. Nous offrirons en retour la reconnaissance de notre merci communautaire et royal qui ne manquera pas de majesté. Nous réaliserons pour les Québécois et Canadiens une uvre grandiose à la hauteur de nos interrogations collectives. Nous n'avons d'autres prétentions que d'offrir nos talents, notre innovation et notre originalité en retour de l'aide financière apportée.

Pour accéder au trône de L'Anse-Saint-Jean, nous n'avons fait aucune autre promesse que d'être un instrument de solidarité communautaire à l'interne et un instrument de visibilité à l'externe. Si les marchands, les agents touristiques, les journalistes, les gens de religion ou de politique ne se servent pas de cet instrument, nous aurons été inutiles. Mais si ceux-ci osent s'en servir, alors tout deviendra possible. L'ère du Saint-Jean-du-Millénaire sera alors celle de l'impossible devenu possible, celle de l'invisible devenu visible.

Le temps est venu pour nous de traverser la rivière, le temps est venu pour nous d'enjamber le pont, le temps est venu pour nous de passer sur l'autre rive.


Notre politique extérieure avec nos voisins légitimes que sont le Québec et le Canada ne peut pas être celle d'un pays étranger comme la France par exemple, soit celle de la non-indifférence et de la non-ingérence tout simplement parce que nous sommes pleinement Québécois et pleinement Canadiens. Nous sommes conscients que notre modeste innovation monarchique à l'échelle municipale bouscule les idées préconçues et les partis pris traditionnels, mais notre initiative ne bouscule pas l'intelligence et la droiture politique, encore moins l'imaginaire collectif dont nous avons un urgent besoin pour avancer. Nous avons posé la question royale plutôt que nationale parce que nous voulions être légitimement souverain tout en restant légalement uni avec le Québec et le Canada. 74 % des Anjeannois ont opté franchement pour cette proposition novatrice afin d'exister pleinement et différemment tout en respectant les liens politiques aux échelles provinciales et fédérale.


Certes, nous suivrons le Québec là où il ira car nous aurons toujours la politique de notre géographie comme nous avons celle de notre passé historique. Peut-être notre Québec doit-il aller dans une direction qu'il n'avait pas encore envisagée jusqu'ici? Peut-être notre Canada doit-il penser à des solutions qu'il n'avait pas encore envisagées pour conserver le Québec? Peut-être est-il temps pour nos voisins légitimes et nos partenaires légaux de poser la question royale plutôt que nationale à leur tour? Peut-être est-il arrivé le temps de payer le véritable prix du Québec et du Canada qui est l'originalité, l'innovation, l'intelligence, l'imaginaire et l'audace. Peut-être est-il temps pour eux également de traverser la rivière?

Nous invitons formellement nos voisins symboliques à reconnaître implicitement ou explicitement notre modeste Royaume et à l'utiliser à des fins d'imagination et d'innovation politique pour assumer nos contradictions politiques plutôt que de tenter de les résoudre. Nous prions Dieu pour que nos partenaires québécois et canadiens n'éteignent pas notre petite chandelle démocratique dans l'obscurité de la nuit constitutionnelle dans laquelle nous sommes plongés depuis tant d'années. Nous leur demandons de vivre intensément notre légitimité et notre différence au bénéfice de leurs options politiques. Le système parlementaire québécois et canadien possède cette flexibilité et cette maturité nécessaire à la reconnaissance de l'exception qui confirme la règle. Après tout, ce système parlementaire d'inspiration britannique nous appartient de plein droit depuis que le père du nationalisme québécois, monsieur Pierre Bédard, a contribué à le sauver en réclamant la responsabilité ministérielle. Acquise plus tard, cette responsabilité ministérielle a permis aux rois et reines du Canada de régner en toute sécurité constitutionnelle pendant que les chefs des gouvernements canadien et québécois ont pu gouverner en toute insécurité politique. Jamais l'idée même de la souveraineté n'aurait pu s'exprimer si clairement dans une république française ou américaine, par exemple.

En tant que Chef d'état municipal, nous aimerions ici nous adresser directement à Sa Majesté la Reine Élisabeth II, le chef d'état du Canada et du Québec.

Majesté! Veuillez pardonner notre audace imposée par une situation politique critique entre le Canada et le Québec. Il arrive, Majesté, que les monarques doivent agir pour régler des problématiques intenables pour leur peuple. Nos fonctions symboliques permettent de rendre concret ce qui est abstrait, de réunir ce qui a été divisée, de transcender ce qui doit l'être.

Le débat constitutionnel qui nous anime encore malheureusement n'arrive pas à sa conclusion logique parce que les chefs de gouvernements, par ailleurs bien intentionnés, ne veulent ou ne peuvent entendre adéquatement ce que leurs peuples leurs disent. Les peuples du Québec veulent majoritairement un Québec indépendant dans un Canada Uni. En effet, la grande majorité des Fédéralistes québécois s'entendent pour réclamer une distinction nationale très forte au Québec tout en espérant demeurer dans la famille canadienne. La grande majorité des souverainistes québécois veulent un pays québécois distinct tout en conservant des liens associatifs avec le Canada. En d'autres termes, les Québécois veulent très majoritairement renouveler en profondeur le Canada tout en permettant au Québec une expression identitaire qui lui est propre. Il s'apprête pourtant à quitter la famille canadienne car il a l'impression que cette expression identitaire ne lui sera pas donnée.

Vous pouvez leur offrir ce qu'il demande? Vous avez la possibilité de sauver le Canada tout en permettant au Québec d'accéder à la souveraineté, c'est-à-dire de signer ses propres lois. Je prie Dieu pour que vous acceptiez le sacrifice ultime de permettre une monarchie québécoise distincte de la vôtre à laquelle tous les représentants fédéraux du Québec et de l'Assemblée nationale prêteraient serment d'allégeance.

Les lois canadiennes ne s'appliqueraient alors au Québec que si elles sont approuvées majoritairement par la députation québécoise au fédéral. Le Québec aurait ainsi non pas un droit de veto, mais un droit d'«opting out» de la couronne. L'ancienne loi canadienne s'appliquerait dans le cas d'un refus exprimé par la majorité des députés québécois fédéraux quel que soit le parti politique qu'il représente.

Le Québec pourrait aussi accéder à sa pleine souveraineté tout en restant politiquement uni avec le Canada. La monarchie constitutionnelle du Canada prouverait ainsi sa grande utilité et nous pourrions aborder l'an 2000 avec un compromis acceptable!

Le temps est venu pour nous de traverser la rivière, le temps est venu pour nous d'enjamber le pont, le temps est venu de passer sur l'autre rive.

Le peuple anjeannois traverse aujourd'hui le pont, mais nous devons le faire en nous débarrassant de nos vieux démons qui nous habitent et qui peuvent alourdir inutilement notre marche vers un avenir meilleur. Sur l'autre rive, il n'y a pas de place pour des sentiments de culpabilité face aux premiers habitants du pays ni pour des ressentiments face aux conquérants anglais de 1760. En tant que premier roi français de terre d'Amérique, nous nous devons de traverser symboliquement notre pont dans un esprit de réconciliation de mon peuple avec son histoire passée qui n'a pas été toujours héroïque.

En tant que Roi chrétien et français d'Amérique, nous demandons officiellement pardon aux premières nations pour tout le mal que nous leur avons fait comme nous pardonnons aux conquérants anglais de 1760 tout le mal qu'il nous ont fait. S'il est impossible de réécrire l'histoire, il est cependant possible de choisir notre avenir et le nôtre sera fait de tolérance et de bonté.

Nos ancêtres français se sont comportés comme des êtres binaires et primitifs envers les Amérindiens. Ils les ont spoliés, molestés, dénigrés et négligés en suivant les coutumes barbares de leur époque. Nous prions Dieu pour que les victimes de nos agressions passées puissent envisager la guérison et nous pardonner sincèrement nos erreurs passées inqualifiables.

Certes, nos conquérants anglais de 1760 se sont également comportés envers nous comme des êtres binaires et primitifs et ils nous ont naturellement spoliés, molestés, dénigrés et négligés en suivant l'exemple que nous leur avons nous-mêmes offert envers les Amérindiens. Nous envisageons la guérison et nous pardonnons ces erreurs inqualifiables car nous voulons enjamber le pont avec la légèreté du pardon retrouvé.

Débarrassés enfin de nos vieux démons de culpabilité et de ressentiments, engageons-nous fièrement sur l'autre rive car le temps est venu pour nous d'être un modeste Royaume de lumière et de couleurs.

Nos veines sont fleuves et rivières, nos chairs sont montagnes et vallées, nos souffles sont vents et marées et notre âme est feux de foyer... Nos bleus sont ceux des océans, nos verts sont ceux des continents, nos jaunes sont ceux des moissons et nos blancs sont ceux des mariées... nos printemps sont ceux de nos mères, nos étés sont ceux de nos pères, nos automnes sont ceux de nos fils et nos hivers sont ceux de nos filles. Nous réclamons les couleurs de nos saisons de la vie, nous réclamons nos couchers de soleil et nos lueurs du matin.

Nous prions Dieu qu'il nous protège et il nous protégera! Nous prions Dieu qu'il nous montre du doigt notre avenir meilleur et il nous le montrera du doigt de notre Saint-Jean-du-Millénaire! Nous prions Dieu qu'il nous épargne de l'amertume et du ressentiment et qu'il nous donne la force de vivre intensément notre royaume construit sur l'innovation et le respect des traditions.

En tant que Roi légitimement proclamé par voie référendaire, nous déclarons unilarétalement que notre Royaume légitime existe et qu'il continuera d'exister parce que nous respectons notre Dieu, notre histoire et nos voisins. Nous déclarons unilatéralement que nous avons enfin traversé la rivière, que nous avons enjambé le pont, que nous sommes enfin arrivés sur l'autre rive, la rive du Sacré, la rive du futur, la rive de notre passé retrouvé et retravaillé, la rive de notre maturité.

En tant que Roi respectueux de notre constitution municipale du royaume, nous déclarons unilatéralement que notre avenir sera prospère, parce que nous sommes audacieux, nous avons du cur au ventre et que nos systèmes économiques et politiques sauront le reconnaître. Nous déclarons unilatéralement que Dieu nous aidera parce que nous nous aidons nous-mêmes. Notre révolution à nous n'est pas celle du sang pour un changement radical, notre Roi-volution est celle du sens pour un changement en douceur, mais tout aussi véritable.


S.A.R. Denys 1er de L'Anse